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AMIDOR
.


Je vois l'adorateur de tous mes nobles vers :

Mais dont les jugements sont toujours de travers.

Tout ce qu'il n'entend pas aussitôt il l'admire. [105]

Je m'en vais l'éprouver : car j'en veux un peu rire.

Suivons. L'orage cesse, et tout l'air s'éclaircit ;

Des vents brise-vaisseaux l'haleine s'adoucit.

Le calme qui revient aux ondes marinières,

Chasse le pâle effroi des faces nautonnières ; [110]

Le nuage s'enfuit, le Ciel se fait plus pur,

Et joyeux se revêt de sa robe d'azur.

FILIDAN
.


Oserait-on sans crime, au moins sans mille excuses,

Vous faire abandonner l'entretien de nos Muses ?

AMIDOR
.


Filidan, laisse-moi dans ces divins transports [115]

Décrire la beauté que j'aperçus alors.

Je m'en vais l'attraper. Une beauté céleste

À mes yeux étonnés soudain se manifeste ;

Tant de rares trésors en un corps assemblés,

Me rendirent sans voix, mes sens furent troublés : [120]

De mille traits perçants je ressentis la touche.

Le coral de ses yeux, et l'azur de sa bouche,

L'or bruni de son teint, l'argent de ses cheveux,

L'ébène de ses dents digne de mille voeux,

Ses regards sans arrêt, sans nulles étincelles, [125]

Ses beaux tétins longuets cachés sous ses aisselles,

Ses bras grands et menus, ainsi que des fuseaux.

Ses deux cuisses sans chair, ou plutôt deux roseaux,

La grandeur de ses pieds, et sa petite taille,

Livrèrent à mon coeur une horrible bataille. [130]

FILIDAN
.


Ah Dieux ! Qu'elle était belle ! Ô Roi des beaux esprits,

Vis-tu tant de beautés ? Ah ! Que j'en suis épris.

Dis-moi ce qu'elle fit, et contente mon âme

Qui sent déjà pour elle une secrète flamme.

AMIDOR
.


Inventons un discours qui n'aura point de sens. [135]

Elle me dit ces mots pleins de charmes puissants,

Favori d'Apollon, dont la verve extatique