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PRÉFACE

Dans cette Comédie sont représentés plusieurs sortes d'esprits Chimériques ou Visionnaires, qui sont atteints chacun de quelque folie particulière, mais c'est seulement de ces folies pour lesquelles on ne renferme personne ; et tous les jours nous voyons parmi nous des esprits semblables, qui pensent pour le moins d'aussi grandes extravagances, s'ils ne les disent.

Le premier est un Capitan, qui veut qu'on le croie fort vaillant : toutefois il est poltron à un tel point, qu'il est réduit à craindre la fureur d'un poète, laquelle il estime une chose bien redoutable ; et est si ignorant, qu'il prend toutes les façons de parler Poétiques et étranges, pour des noms de Démons, et des paroles magiques.

Le second est un poète bizarre, sectateur passionné des Poètes Français qui vivaient devant ce siècle, lesquels semblaient par leurs termes ampoulés et obscurs, avoir dessein d'épouvanter le monde, étant si aveuglément amoureux de l'Antiquité, qu'ils ne considéraient pas que ce qui était bon à dire parmi les Grecs et les Romains, imbus de diverses appellations de leurs Dieux, et des particularités de leur Religion, dont les fables étaient le fondement, n'est pas si facilement entendu par ceux de ce temps, et qu'il faut bien adoucir ces termes quand on en a besoin, soit aux allégations des fables, ou en d'autres rencontres. Celui-ci par la lecture de ces Poètes, s'est formé un style Poétique si extravagant, qu'il croit que plus il se relève en mots composés et en Hyperboles, plus il atteint la perfection de la Poésie ; dont il fait même des règles à sa mode, principalement pour les pièces de Théâtre, en quoi il pense être fort habile : témoin un sujet qu'il compose sur le champ, dont l'immensité et la confusion font voir le défaut de son jugement. Il ne laisse pas d'avoir assez d'esprit pour se jouer d'un fou qui se mêle d'aimer les vers sans y rien connaître.

Le troisième est un de ceux dont le nombre est si grand qui se piquent d'aimer les vers sans les entendre, font des admirations sur des choses de néant, et passent ce qui est de meilleur ; et prennent des galimatias en termes relevés pour quelques Sentences, et pour les plus grands efforts de la Poésie. Ces sortes d'esprits, pourvu que les vers semblent graves, ne manquent point de les approuver, sans penser seulement à les entendre. Mais il n'y a rien de plus ordinaire que de voir ces mêmes idiots,