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LA BASTILLE EN 1789.

autres, avait poussé à bout tout le monde et réuni contre lui, dans une exaspération commune, les diverses classes de la société et les courants les plus contraires de l’opinion. Il n’avait épargné personne, et personne n’était disposé à prendre sa défense : ses confrères l’avaient rayé du tableau des avocats ; l’Académie avait demandé la suppression de son journal ; réfugié en Suisse, puis en Angleterre, pour pouvoir plus sûrement décocher ses flèches empoisonnées sur les grands et sur les ministres, il était revenu à Paris au moment où la colère et l’indignation se soulevaient de toutes parts contre lui, comme pour braver les ressentiments qu’il avait excités. Les Mémoires de la Bastille, qu’il alla publier en Angleterre après ses vingt-trois mois de détention, n’en provoquèrent pas moins plus d’une réforme, tant les esprits étaient bien préparés. Bornons-nous à un petit fait, peu important par lui-même, mais caractéristique. Linguet avait excité la sensibilité générale en dépeignant l’ingénieuse cruauté avec laquelle on reproduisait sous les yeux du prisonnier tout ce qui pouvait lui rappeler sa situation, s’étendant en particulier sur le cadran de l’horloge, dont les deux figures décoratives étaient enchaînées par des fers qui, après avoir couru autour du cartel en guise de guirlande, venaient en bas former un nœud. « M. de Breteuil demanda un jour où étaient les chaînes qui avaient tant indisposé M. Linguet ; on les lui fit voir : — Dans deux heures, dit le