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LES HOMMES DU 14 JUILLET;

comme le disait un d’entre eux, n’auraient eu rien à y regretter sans la privation de la liberté. Il est vrai que c’est bien quelque chose ; mais la Bastille n’en représentait pas moins, en tout ce qui concernait la presse, un progrès sur l’époque où il n’y allait pas de moins, pour les libellistes, que des cellules de Pignerol, des casemates de Sainte-Marguerite, voire des cages du Mont-Saint-Michel ; pour les imprimeurs et les colporteurs, du carcan, du pilori, des galères. Les pauvres diables de nouvellistes et de folliculaires y voyaient un moyen économique de payer leur terme, et parfois ils étaient bien fâchés quand on les mettait à la porte.

Ce qu’il y avait de pis que la privation de la liberté, c’était l’arbitraire qui présidait à l’embastillement. On savait bien quand on entrait à la Bastille, on ne savait pas, dans les circonstances graves, quand on en sortirait. Et, de fait, beaucoup n’en sont pas sortis, sinon les pieds devant, comme dit le peuple. Sans aller jusqu’à ces cas tragiques, il n’était pas rassurant de savoir que la durée et la forme de la détention n’avaient pour règle que la volonté d’un ministre ou d’un chef de la police. On ne flétrira jamais trop le régime des lettres de cachet. Seulement il avait à son service bien d’autres prisons que la Bastille, et gardons-nous de croire qu’il fut particulier à la France : il était pratiqué d’un bout à l’autre de l’Europe, depuis les États du sultan jusqu'à la République de Venise.