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m. paul bourget

manque de foi, notre confiance dans la science qui ne nous a rien donné et qui nous console assez mal, avec notre incertitude et nos doutes de plus en plus forts, avec le malaise qui pèse sur notre société, nous sommes tous portés à suspecter tout et à n’aimer rien. La littérature de passion se meurt et fait place à la littérature d’érudition. Nous sommes des désabusés et aussi, comme le disait un jour M. Alphonse Daudet, « des détraqués et des compliqués ». Seuls, dans un siècle vieilli et dans une société qui tombe, les tout jeunes gens rêvent encore des œuvres vibrantes et passionnées ; les autres y renoncent et vivent par et pour la pensée. Avec la vie d’aujourd’hui, telle qu’elle nous a été faite et telle que nous nous la faisons, le cœur humain ne dure pas dix ans.

Blasés, volontairement ou non, il nous faut des sensations complexes ; nous ne nous émouvons que pour ce qui est raffiné ; nous ne songeons qu’à savoir, entourés que nous sommes de points d’interrogation menaçants. L’air que nous respirons nous étouffe, et parce que le présent nous pèse et nous inquiète, nous ne pouvons en détacher nos yeux et regarder plus loin. Voilà pourquoi, même chez les psychologues les plus pénétrants, l’observation, après s’être transformée, menace