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conclusion

tingué la petite morale vulgaire et la grande morale, au lieu de se poser orgueilleusement en iconoclaste de toute moralité ? Il a poursuivi de ses railleries, souvent justifiées, la petite science et les petits savants, simples manœuvres ou maçons (qui pourtant apportent leur pierre, quoiqu’ils ne soient pas les architectes) ; mais il n’ignorait pas qu’au-dessus de la petite science il y a la grande science, celle qui embrasse les horizons infinis, soit dans l’espace, soit dans le temps, celle qui nous fait saisir non seulement un certain nombre de « petits faits » ou de petites lois, mais les grands traits et la figure vénérable du Cosmos. Il a de même raillé la petite philosophie et élevé la grande jusqu’au delà des nues. Il est de ceux qui disent volontiers, avec Pascal, que l’éloquence se moque de l’éloquence, que la philosophie se moque de la philosophie. Pourquoi, encore un coup, n’a-t-il pas dit en propres termes : — La morale se moque de la morale ; entendez la grande et vraie morale, par opposition à la petite et à la conventionnelle ! Au fond, Zarathoustra n’est pas plus allé par delà le bien et le mal qu’il n’est allé par delà le vrai et le faux, par delà la peine et la joie, par delà la pitié, par delà l’amour. Un moralisme haut et, par malheur, hautain, subsiste sous son apparent immoralisme.

De même, dans sa métaphysique et sa religion, Nietzsche s’est fait une conception antinomique de l’être et de la puissance à l’être immanent. Il avait attribué à l’existence, comme Guyau, le pouvoir de déborder toutes les formes et d’aller toujours plus loin ; il avait même paru attribuer à l’être, ou plutôt au « devenir toujours hétérogène et changeant », un caractère indéfini, contingent, impossible à calculer, à déduire, à prévoir. Ses conclusions fixes, logiques, géométriques, sont en formelle opposition avec ses principes. De là cette longue série d’antinomies métaphysiques qui sont demeurées sans solution. Il y a antinomie, il y a contradiction entre l’idée de la causalité brute et l’idée d’un monde ayant une valeur finale