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culte apollinien et dionysien de la nature


Pour Nietzsche, en effet, l’ascension de la vie au-dessus d’elle-même n’est point nécessairement le bonheur, le plus souvent même, il nous l’a dit, c’est « le malheur ». Pour sa part, il y consent, nous l’avons vu, avec l’adhésion d’un stoïque au Fatum.

    Hélas c’est là mon chagrin : on a astucieusement introduit la récompense et le châtiment au fond des choses, et même encore au fond de vos âmes, ô vertueux…
    Mais ceci est votre vérité : vous êtes trop propres pour la souillure des mots : Vengeance, punition, récompense, représailles.
    Vous aimez votre vertu comme la mère aime son enfant, mais quand donc entendit-on qu’une mère veut être payée de son amour ?
    Votre vertu, c’est votre vous-même qui vous est le plus cher. Vous avez en vous la soif de l’anneau : c’est pour revenir sur soi-même que tout anneau s’annelle et se tord.
    Et toute œuvre de votre vertu est semblable à une étoile qui s’éteint ; sa lumière est encore en route et elle suit toujours son orbite ; — quand ne sera-t-elle plus en route ?
    Ainsi la lumière de votre vertu est encore en route, même quand l’œuvre est accompli. Qu’elle soit donc oubliée et morte : son rayon de lumière est encore en voyage !
    Que votre vertu soit votre vous-même, et non quelque chose d’étranger, un épiderme et un manteau : voilà la vérité du fond de votre âme, ô vertueux !


Il y a d’autres hommes, au contraire, pour qui la vertu reste extérieure ; pour les uns, ce n’est « qu’un spasme sous le fouet » ; d’autres disent : « Ce que je ne suis pas, c’est là ce qu’est pour moi Dieu et vertu ; d’autres s’avancent lourdement et en grinçant, comme des chariots qui portent des pierres dans la vallée : c’est leur « frein » qu’ils appellent vertu ; d’autres sont semblables à des pendules qu’on remonte, ils font tic tac et veulent qu’on appelle leur tic tac de la vertu.

Il en est qui aiment les gestes, et qui pensent : la vertu est une sorte de geste ; leurs genoux sont toujours en adoration et leurs mains se joignent, à la louange de la vertu, mais « leur cœur n’en sait rien ». Il en est d’autres enfin qui crient : la vertu est nécessaire, la morale est nécessaire ; mais ils ne croient au fond