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nietzsche et l’immoralisme

ses raffinements, ses scrupules douloureux, ses tortures intérieures, peut frapper les êtres non en raison inverse, mais en raison directe de leur perfectionnement. » — « Très bien, » dit Nietzsche. Lui-même, à plusieurs reprises, analysera la « mauvaise conscience » ; mais, poussant encore au paradoxe, on se rappelle qu’il y voit une des formes de déviation de l’instinct de cruauté ; le remords est la cruauté « envers soi-même »[1]. L’idée de cruauté exerce décidément sur Nietzsche une sorte de fascination maladive.

M. Lichtenberger avait été déjà frappé de voir fortement souligné un beau passage où Guyau dit (p. 180) : « Supposons, par exemple, un artiste qui sent en lui le génie et qui s’est trouvé condamné toute sa vie à un labeur manuel ; ce sentiment d’une existence perdue, d’une tâche non remplie, d’un idéal non réalisé, le poursuivra, obsédera sa sensibilité à peu près de la même manière que la conscience d’une défaillance morale." Nietzsche ajoute en marge : « Ma propre existence à Bâle ! » Le philosophe condamné à la philologie éprouvait la « mauvaise conscience » et se torturait lui-même « cruellement ».

IV. — Bien connues sont les conclusions si neuves de Guyau sur le risque en morale et en métaphysique ; elles ont attiré l’attention de Nietzsche : « Il y avait, dit Guyau, dans le pari de Pascal, un élément qu’il n’a pas mis en lumière. Il n’a guère vu que la crainte du risque, il n’a pas vu le plaisir du risque » (p. 219). Nietzsche souligne deux fois et met en marge : « gut !! » avec deux points d’exclamation. Le fait est que Nietzsche parlera sans cesse, lui aussi, de l’ivresse du risque. Rappelons-nous les paroles déjà citées de Zarathoustra : « Commander est plus difficile qu’obéir ; commander m’est toujours apparu comme un danger et un risque. Et toujours, quand ce qui est vivant

  1. Voir plus haut.