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les jugements de nietzsche sur guyau

plus sincère que le faux, dont il fait avec le vrai un inextricable mélange. Une grande partie de son succès est due à ce procédé de paradoxe systématique, qui estime folie de bonne foi[1].

III. — De même que Guyau, avant Nietzsche, a battu en brèche l’idée d’obligation, on sait qu’il a voulu détruire l’idée proprement dite de sanction et d’expiation morale. Il écrit à la page 146 : « Déjà Bentham, MM. Maudsley, Fouillée, Lombroso se sont attaqués à l’idée de châtiment moral ; ils ont voulu enlever à la peine tout caractère expiatoire et en ont fait un simple moyen social de répression et de réparation. » Nietzsche met deux traits en marge et ajoute : « Feuerbach ». Nietzsche lui-même sera de ceux qui rejettent, avec la loi morale, la sanction morale comme telle, quoique, d’ailleurs, il maintienne la nécessité de la force pour faire dominer sur les autres les plus puissants, qu’il appelle avec Calliclès les meilleurs.

Guyau montre, à la page 182, que le remords produit une certaine antinomie. « De même que les organismes supérieurs sont toujours plus sensibles à toute espèce de douleur venant du dehors, et qu’en moyenne, par exemple, un blanc souffre plus dans sa vie qu’un nègre, de même les êtres les mieux organisés moralement sont mieux exposés que d’autres à cette souffrance venant du dehors et dont la cause leur est toujours présente : la souffrance de l’idéal non réalisé. Le vrai remords, avec

  1. Il y a une épithète qui revient sans cesse dans la bouche de Nietzsche : c’est celle de méchant, qu’il prend dans un bon sens et qui devient à ses yeux un compliment. Il se reconnaît à lui-même un goût de perversité, dont il s’enorgueillit. Il aurait pu aussi se reconnaître un goût de fausseté et de sophisme. Malheureusement, il y a là des tares et stigmates de cette « dégénérescence » qu’il avait pourtant, comme Guyau, en si grande horreur. Sa psychologie frise ici cette pathologie dont Guyau parle en son chapitre sur les décadents. Il semble que la raison de Nietzsche, même aux moments où elle montre le plus de force et de finesse, soit toujours prête à une fugue vers la déraison.