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nietzsche et l’immoralisme

nous-même à Spencer, dans la Critique des systèmes de morale contemporains, que pour s’adapter il faut commencer par être et par agir, par vouloir quelque chose. Tout mécanisme d’adaptation est un procédé secondaire et ultérieur de la vie. Nietzsche aperçoit cette vérité, mais il tombe dans une erreur du même genre ([ne Spencer lorsqu’il définit l’activité immanente, qui est la vie, « une volonté de puissance et de domination ». La domination n’est-elle même, à notre avis, qu’une adaptation d’autrui à soi, qu’un mécanisme dérivé et secondaire, une sorte de pis-aller qu’on emploie parce qu’on y est obligé en face d’une résistance.

Étant donnée comme point de départ l’objection juste qu’il avait faite à Spencer, Nietzsche va, avec son art habituel, changer la vérité qu’elle renfermait en une grosse erreur. — Les émotions actives, dit-il, sont les émotions « agressives »[1] . — Où a-t-il découvert cette étrange identité ? En quoi agir est-il synonyme d’attaquer ? — C’est, diront peut-être les Nietzschéens, que, pour agir, il faut agir contre un obstacle, donc attaquer cet obstacle et lutter. — Oui, je vous comprends, l’acte pur d’Aristote étant interdit à l’homme, il ne lui reste plus que l’effort des stoïciens, qui suppose résistance. Mais, ceci admis, il n’en est pas moins facile de mettre le doigt sur la plaie du système. Agir contre quelque chose, est-ce nécessairement agir contre d’autres hommes ? Ne puis-je agir contre un milieu extérieur, par exemple soulever un fardeau, sans vous attaquer, vous ou tout autre ? Ne puis-je agir contre un milieu intérieur, par exemple contre ma colère ou mon instinct de vengeance, sans vous attaquer, alors que j’en aurais peut-être le désir ? Ne puis-je faire effort pour résoudre un problème de géométrie sans agir contre quoiqu’un ? Ne pouvons-nous agir tous les deux ensemble contre un obstacle

  1. L’Antéchrist, p. 117 ; trad. Albert.