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mais en quoi les prédéterminent-ils ? Ils sont un point de départ qui permet d’aller plus loin ; mais qu’est-ce qui nous incite à aller plus loin ? Il faudrait admettre alors une tendance interne qui pousse l’humanité à dépasser sans cesse les résultats acquis, soit pour se réaliser complètement, soit pour accroître son bonheur, et l’objet de la sociologie serait de retrouver l’ordre dans lequel s’est développée cette tendance ». Or, ajoute M. Durkheim, cette tendance n’est pas « donnée » elle n’est que « postulée et construite par l’esprit d’après les effets » ; qu’on lui attribue. C’est une sorte de faculté motrice que nous imaginons sous le mouvement pour nous en rendre compte ; « mais la cause efficiente d’un mouvement ne peut être qu’un autre mouvement, non une virtualité de ce genre[1]. » Ce raisonnement exclut du nombre des facteurs de l’évolution sociale tous les facteurs psychiques, idées et désirs. — Mais, répondrons-nous, il n’est pas besoin d’admettre une virtualité, une tendance occulte au bonheur pour comprendre que, en fait, les hommes recherchent le plus grand bonheur possible, qu’ils ont des idées et des sentiments qui les mènent, etc. M. Durkheim oppose la conscience collective à la conscience individuelle, tout en reconnaissant qu’on ne peut « hypostasier » la première. Les états qui constituent la conscience collective diffèrent, dit-il, spécifiquement de ceux qui constituent les consciences particulières, parce qu’ils ne sont pas formés « des mêmes éléments ». Les uns résultent de la nature de l’homme pris isolément, les autres de la combinaison d’une pluralité d’êtres de ce genre. « Les résultantes ne peuvent donc pas manquer de différer, puisque les composants diffèrent à ce point[2]. » — Sans doute, mais les résultantes se produisent dans des consciences individuelles ; elles sont la partie de ces consciences où retentit l’action des autres consciences et des conditions sociales. Il nous semble donc impossible d’exclure, avec M. Durkheim, les considérations psychologiques du domaine propre de la sociologie.

En somme, la sociologie fait de nos jours d’incontestables progrès ; elle a seulement besoin de délimiter mieux son objet et sa méthode, de ne pas se perdre dans les recherches voisines telles que la morale, le droit, l’économie politique, la politique, l’ethnographie, l’anthropologie, l’histoire ; de ne pas oublier, dans l’étude de ce qui n’est pour

  1. Durkheim, p. 144.
  2. Durkheim, p. 128.