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philosophie idéaliste, quand il admettait que les idées et les opinions gouvernent le monde. — Pourtant, Auguste Comte ne méconnaissait pas la pression du passé sur le présent, puisqu’il admettait que le gouvernement des sociétés est exercé encore moins par les vivants que par les morts, beaucoup plus nombreux, beaucoup plus puissants et qui contribuent ainsi pour une plus large part à la formation du grand être humanitaire. En outre, dans l’organisme même de l’individu, est-il vrai que la vie végétative et animale soit vraiment directrice ? — Fondamentale, oui sans doute, mais dirigeante, non ; elle est au contraire dirigée. C’est la tête, après tout, qui mène le corps ; sans doute elle ne peut pas lui faire accomplir ce dont il est organiquement incapable ; mais la plasticité du cerveau est bien connue et, dans le domaine soumis à la volonté, les idées reprennent leur empire. Bien entendu, il ne s’agit pas d’idées pures et abstraites, mais d’idées développant des sentiments. Ce sont celles-ci qui constituent les vraies idées-forces. Un ferment, a-t-on dit, suffit pour produire une décomposition de forces et amener une recomposition ; l’idée sert de ferment ; son action n’est pas toujours visible, mais elle a un pouvoir de destruction et de rénovation.

Une notion qui joua un rôle capital dans le positivisme, c’est celle d’organisation, opposée à l’idée de liberté individuelle et de critique destructive. Pour le positiviste, l’organisation a, par elle-même et en elle-même, une valeur, parce que, dans l’ordre intellectuel, elle est un lien d’idées, dans l’ordre social, un lien de sentiments et de volontés. Pour les fondateurs de la sociologie, cette idée ne pouvait manquer de passer au premier plan. Saint-Simon parle sans cesse d’organiser : organisation de l’industrie, organisation de la science, organisation de la religion. Auguste Comte distingue, dans le progrès social de l’humanité, les époques critiques, où l’on soumet tout à l’examen pour préparer, par la destruction de l’ancien, l’avènement du nouveau, et les époques organiques ou d’intégration, où une nouvelle forme de société prend vie, prend corps.

Dans l’état organique, la variété est ramenée à l’unité : tous les faits de l’activité humaine sont classés, prévus, coordonnés par une théorie générale, où le but de l’action sociale est nettement défini. Dans l’état critique, la lutte des individualités, des libertés, des opinions et directions diverses devient prédominante. Selon Saint-Simon, il y a eu un état organique antérieurement à l’ère gréco-romaine, qui est philosophique et critique ; la constitution de l’église chrétienne représente la deuxième période organique ; avec la Réforme commence