Page:Fouillée - Les Études récentes de sociologie.pdf/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 2 —

— Voilà, évidemment, des questions de haut intérêt, très différentes de celles que se posent, soit l’historien, soit l’économiste, soit le politique.

Comte affirme que les faits sociaux sont des faits naturels soumis aux lois naturelles. Avant lui, la conception purement biologique de la société était courante. Bacon et Pascal avaient comparé l’humanité à un seul homme, ses périodes à celles de la vie humaine. Les découvertes de la biologie avaient donné à ces métaphores un sens précis et les comparaisons étaient devenues des raisons. Il en était résulté une sorte de confusion de la sociologie avec la biologie : la première ne formait pas une science distincte. Par cela même, on s’en tenait au point de vue individualiste de la société : celle-ci, composée d’individus, apparaissait elle-même comme un grand individu soumis, en somme, aux mêmes lois biologiques que les autres : la profonde originalité, la spécificité des faits sociaux échappait.

Ce sera la gloire d’Auguste Comte que d’avoir montré dans les faits sociaux une sphère ayant sa valeur propre, ses lois propres, qui ne peuvent pas plus se ramener aux lois ordinaires de la pure physiologie que les lois de la physiologie ne se ramènent aux lois de la pure physique. L’application du darwinisme à la société humaine est un exemple du danger de vouloir réduire une science plus complexe à une autre plus simple, la sociologie à la biologie.

Auguste Comte ne méconnaît pas pour cela la dépendance de la sociologie par rapport à la psychologie, qui elle-même, à ses yeux, rentre dans la biologie. « Puisque, dit-il, le phénomène social, conçu en sa totalité, n’est, au fond, qu’un simple développement de l’humanité, sans aucune création de facultés quelconques, toutes les dispositions effectives que l’observation sociologique pourra successivement dévoiler devront donc se retrouver, au moins en germe, dans ce type primordial que la biologie a construit par avance pour la sociologie[1] ».

En biologie, on distingue l’organisation, qui est statique, et la vie, qui est dynamique ; de même en sociologie, Comte distingue l’ordre social et le progrès social. Aristote avait déjà presque constitué la théorie de l’ordre social ; d’autre part, depuis le XVIIIe siècle, on avait élaboré celle du progrès social ; mais on n’avait jamais présenté ces deux éléments dans leur véritable relation, qui n’est pas un antago-

  1. Cours de phil. posit., iv, 333.