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le pouce crochu

me tenir compagnie. C’est pourquoi j’aurais tort de ne pas aller le rejoindre.

Au revoir donc, messieurs… ou adieu ! conclut l’étrangère en se levant d’un air si délibéré que Fresnay s’effaça pour la laisser passer et ne chercha point à la retenir.

Elle traversa la terrasse sans regarder personne et elle disparut dans le couloir où aboutit l’escalier.

Gémozac n’attendait que son départ pour éclater :

— Tu as donc juré de te brouiller avec moi ? commença-t-il en roulant des yeux furibonds.

— Pourquoi ? demanda froidement Alfred. Parce que je viens de poser des jalons pour faire mon chemin dans les bonnes grâces d’une jolie femme ?… car elle est très jolie, tu ne peux pas le nier.

— Eh ! morbleu ! fais-en ta maîtresse, si tu veux, mais ne lui raconte pas mes affaires… et celles des autres.

— Bon ! tu me reproches d’avoir parlé de toi et de mademoiselle Monistrol. Où est le mal ? Elle ne te connaît pas et elle ne rencontrera probablement jamais cette jeune fille qui t’intéresse si fort. La comtesse vient à Paris pour s’amuser et pas du tout pour se mêler d’une histoire qui ne la regarde pas.

— Alors, tu crois que c’est une vraie comtesse ? En vérité, tu es trop bête.

— Pas si bête que tu le penses. Je m’inquiète fort peu de ses quartiers de noblesse, mais je trouve sa personne à mon goût et j’entrevois une liaison des plus divertissantes… Les étrangères, ça me va… surtout les excentriques… ça vous change et ça n’engage à rien. Avec celle-là, je ferai pendant six semaines une vie de bâtons de chaise, et quand elle retournera en Hongrie, je me dispenserai de l’y accompagner.