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le pouce crochu

petit hôtel de la rue Mozart, meublé en quarante-huit heures par un tapissier expéditif, et il s’est lancé à corps perdu dans la carrière, nouvelle pour lui, de protecteur attitré.

Il n’a pas encore eu à s’en repentir. La Hongroise n’affiche pas pour lui une passion violente, mais elle le traite bien, et elle l’amuse énormément. C’est une femme à surprises : tantôt triste et maussade, tantôt gaie jusqu’à la folie. Jamais la même, et cependant toujours prête à inventer des extravagances pour divertir son seigneur et maître. Elle ne parle plus de sa noblesse ni de ses ancêtres, et il n’est plus question de M. Tergowitz.

Fresnay commence à croire qu’elle est née à Batignolles ou à Belleville, mais c’est là le moindre de ses soucis. Il lui suffit qu’elle soit inédite, — c’est son mot quand il parle d’elle, — et, en effet, parmi les gens de sa bande, aucun ne l’a encore reconnue, quoiqu’il ne se prive pas de la montrer. Il la mène au cirque, et il s’exhibe avec elle aux Champs-Élysées et au Bois, en voiture découverte. C’est pourquoi il ne regrette pas l’argent qu’elle lui coûte, et il brave gaiement le danger de se toquer d’elle au point de la prendre au sérieux.

Olga, la femme de chambre soupeuse, a suivi la fortune de sa maîtresse et la sert avec un zèle et une fidélité exemplaire ; Fresnay a déjà essayé plus d’une fois de lui arracher des confidences sur le passé de la soi-disant comtesse. Olga est restée muette comme un poisson, et les larges gratifications qu’elle encaisse ne lui délient pas la langue. Mais elle s’ennuie de l’existence facile et douce que le prodigue Alfred lui a faite, et on voit qu’elle préférerait se remettre à tirer les cartes. Elle a la nostalgie de la vie de Bohême.