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le pouce crochu

Fresnay n’en revenait pas et ne savait plus que penser de cette créature. Il appela le maître d’hôtel pour se renseigner.

— Les deux notes sont pour moi, lui dit-il. Connaissez-vous cette dame ?

— Non, monsieur. Je ne l’ai jamais vue ici et je suis à peu près sûr que c’est la première fois qu’elle y vient.

— Est-ce qu’il y avait longtemps qu’elle y était quand je suis arrivé ?

— Une heure à peu près. Le patron ne voulait pas la recevoir, à cause de sa mise, mais je lui ai fait observer que c’était sans doute une étrangère…

— Elle parle français comme si elle était née à Pantin. Servez-moi le café… et de l’eau-de-vie de Martell.

Fresnay n’avait plus ni faim, ni soif, mais il n’était pas encore disposé à lever la séance, et pour remplacer la sorcière envolée, il n’imaginait rien de mieux qu’une vieille bouteille de fine Champagne.

Cette ébauche d’aventure ne l’avait pas troublé, mais elle l’intriguait. Et elle n’était pas banale. On ne rencontre pas tous les jours des somnambules au café Américain. D’où sortait celle-là, et pourquoi s’enfuyait-elle avant quatre heures, comme Cendrillon au premier coup de minuit ? Alfred cherchait la solution de ce problème, et afin de la trouver plus facilement, il vida coup sur coup quelques verres d’eau-de-vie, qui n’amenèrent pas le résultat désiré. Tout au contraire, ses idées s’embrouillèrent de plus en plus, et il finit par tomber dans une sorte d’engourdissement cérébral dont plusieurs demoiselles inoccupées essayèrent vainement de le tirer.

Il n’écouta même pas les contes qu’elles lui débitèrent sur la femme brune, laquelle, à les entendre, vendait des