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le pouce crochu

aussi pour décider de quel côté elle allait se diriger.

Camille savait bien qu’en refaisant le chemin qu’elle avait déjà suivi avec Courapied, elle arriverait à la porte de Clichy, mais il lui aurait fallu passer devant ce Tombeau des lapins, où tous les ivrognes de ces parages semblaient s’être donné rendez-vous, ce soir-là. C’était une chance inouïe qu’elle n’eût pas fait de mauvaise rencontre, et elle n’aurait peut-être pas le même bonheur en se risquant une seconde fois de ce côté, surtout maintenant qu’elle était seule. L’armée des chiffonniers venait de se mettre en branle. On apercevait encore leurs falots dans le lointain et Camille ne se souciait pas de les rencontrer, en quoi elle avait tort, car en général les chiffonniers sont d’honnêtes gens, et leur compagnie l’aurait probablement préservée de rencontres plus fâcheuses.

Elle préféra prendre la direction opposée, sans réfléchir que, de ce côté, la route de la Révolte s’éloigne de plus en plus des fortifications. Elle aurait pourtant dû se rappeler que le pauvre Courapied avait dit : « Ce sale chien va finir par nous mener à Saint-Denis. » Mais il était écrit que mademoiselle Monistrol courrait, cette nuit-là, d’autres aventures.

Elle prit le pas accéléré, en ayant soin de marcher au milieu de la route pour éviter les embuscades, et elle alla ainsi pendant un gros quart d’heure, l’œil au guet et le pistolet à la main. Elle voyait toujours la butte Montmartre à sa droite, mais devant elle rien qu’une plaine sans fin et pas une seule lumière.

Alors, elle commença à se demander si elle ne tournait pas le dos à la porte qu’elle cherchait, la porte où elle trouverait des commis de l’octroi qui lui indiqueraient un poste de sergents de ville, et elle cessa d’avancer.