Les deux promeneurs rentrèrent dans la salle du bazar.
Chacun était en proie à des pensées différentes. Jeanne pensait : « C’est bien vrai qu’il m’aime encore, lui qui a paru indifférent tout l’hiver, qui ne m’a jamais dit un mot d’amour. »
Charles se reprochait d’avoir peut-être agi trop brusquement : « Pourtant non, se disait-il une seconde après, je n’aurais jamais trouvé une aussi belle occasion… Turcotte m’a supplanté, mais il n’aura jamais Jeanne pour femme…
Ce soir-là on ne remarqua rien d’extraordinaire dans les deux jeunes gens, cependant celui qui se fut trouvé dans la salle comme observateur eut remarqué que le jeune marchand jetait souvent un œil de colère à la table des rafraîchissements.
Le lendemain soir Charles ne revint pas au bazar. Il se dit : « À quoi bon dépenser mon argent si cela ne m’avance pas. »
Avec la clôture du bazar finit le mois de septembre et avec octobre recommencèrent les troubles.
Les proscrits réfugiés au-delà des lignes ne restaient pas inactifs. Ils faisaient de fréquentes incursions dans le pays dont l’entrée leur était interdite. Ils s’avançaient jusqu’à Napierville, distance de huit lieues, jusqu’à Saint-Jean d’Iberville et même jusqu’à Beauharnois pour faire des levées de troupes et exciter le peuple à la résistance ouverte et par les armes.
Dans ces incursions ils risquaient souvent leurs têtes.