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les mystères de montréal

auprès de son mari. Je me rendis à la demande du marchand parce que je connaissais l’armateur Alvirez. La veille de notre départ de Montréal, si ma mémoire ne me fait pas défaut, un individu parlant le français, l’espagnol et l’anglais est venu me demander de l’engager comme matelot pour faire la traversée, disant qu’il voulait revoir sa famille qui habitait aux environs de Barcelone. Comme un homme de plus ne me nuisait pas, je l’engageai. Ce fut ainsi que nous levâmes l’ancre. Je ne remarquai rien de singulier à bord. Le soir du 31 mai — la quinzième journée de la traversée je me couchai comme d’habitude. Eus-je un songe ou était-ce la vérité ? Je ne le sais pas, toujours est-il que je vis un homme qui se penchait sur moi. J’essayais de l’envoyer et il ne partait pas… Quand je m’éveillai, au lieu d’être dans ma cabine, j’étais dans une chaloupe en pleine mer avec cinq de mes matelots. Ils semblaient sommeiller, j’en pousse un, je lui parle… il ne remue pas… Il était mort et son voisin rendait le dernier soupir. Je réussis à réveiller les trois autres, plus robustes et plus forts… Leur ayant demandé ce que cela signifiait, ils me répondirent qu’ils ne le savaient pas plus que moi. Ils ne pensaient qu’à dormir… Le surlendemain le vent poussa notre chaloupe sur l’île où vous m’avez recueilli. Les trois compagnons qu’il me restait moururent les uns après les autres dans l’espace de huit jours… Pendant deux ans j’ai vécu seul dans cette île… J’espérais toujours qu’un navire passerait en vue et qu’il me tirerait de ma retraite.