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grands frais ; certainement la nature n'en fera pas la dépense.

Le bonheur que nous nous proposons sera toujours d'autant plus facile à obtenir, qu'il y entrera moins de choses différentes, et qu'elles seront moins indépendantes de nous. La machine sera plus simple, et en même temps plus sous notre main.

Si l'on est à peu près bien, il faut se croire tout à fait bien. Souvent, on gâterait tout pour attraper ce bien complet. Rien n'est si délicat ni si fragile qu'un état heureux ; il faut craindre d'y toucher, même sous prétexte d'amélioration.

La plupart des changements qu'un homme fait à son état pour le rendre meilleur, augmentent la place qu'il tient dans le monde, son volume, pour ainsi dire : mais ce volume plus grand donne plus de prise aux coups de la fortune . Un soldat qui va à la tranchée, voudrait-il devenir un géant pour attraper plus de coups de mousquet ? celui qui veut être heureux se réduit et se resserre autant qu'il est possible. Il a ces deux caractères ; il change peu de place, et en tient peu.

Le plus grand secret pour le bonheur, c'est d'être bien avec soi. Naturellement tous les accidents fâcheux qui viennent du dehors, nous rejettent vers nous-mêmes, et il est bon d'y avoir une retraite agréable ; mais elle ne peut l'être si elle n'a été préparée par les mains de la vertu. Toute l'indulgence de l'amour-propre n'empêche point qu'on ne se reproche du moins une partie de ce qu'on a à se reprocher : et combien est-on encore troublé par le soin humiliant de se cacher aux autres, par la crainte d'être connu, par le chagrin inévitable de l'être? on le fuit, et avec raison : il n'y a que le vertueux qui puisse se voir et se reconnaître. Je ne dis pas qu'il rentre en lui-même pour s'admirer et pour s'applaudir :