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grand de tous les maux. Mais qui nous empêche de prévoir en général ce que nous appelons les maux singuliers  ? On ne peut pas prédire les comètes comme les éclipses : mais on est bien sûr que de temps en temps il doit paraître des comètes ; et il n'en faut pas davantage pour n'en être pas, effrayé. Les malheurs singuliers sont rares ; cependant il faut s'attendre à en essuyer quelques-uns : il n'y a presque personne qui n'ait eu le sien : et si on voulait, on leur contesterait avec assez de raison leur qualité de singulier.

Une circonstance imaginaire qu'il nous plaît d'ajouter à nos afflictions, c'est de croire que nous serons inconsolables. Ce n'est pas que cette persuasion-là même ne soit quelquefois une espèce de douceur et de consolation ; elle en est une dans les douleurs dont on peut tirer gloire, comme dans celle que 1'on ressent de la perte d'un ami. Alors se croire inconsolable, c'est se rendre témoignage que l'on est tendre, fidèle, constant ; c'est se donner de grandes louanges. Mais dans les maux ou la vanité ne soutient point l'affliction, et où une douleur éternelle ne serait d'aucun mérite, gardons-nous bien de croire qu'elle doive être éternelle. Nous ne sommes pas assez parfaits pour être toujours affligés : notre nature est trop variable, et cette imperfection est une de ses plus grandes ressources.

Ainsi, avant que les maux arrivent, il faut les prévoir, du moins en général ; quand ils sont arrivés, il faut prévoir que l'on s'en consolera, L'un rompt la première violence du coup ; l'autre abrège la durée du sentiment : on s’est attendu à ce que l'on souffre ; et du moins on s'épargne par là une impatience, une révolte secrète qui ne sert qu'à aigrir la douleur : on s'attend il ne pas souffrir longtemps ; et dès lors on anticipe en quelque sorte sur ce temps qui sera plus heureux, on l'avance.