Page:Fontenelle - Pages choisies, Potez, 1909.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée

partie de notre bonheur ne dépend pas de nous. Si l'un d'eux, pressé par la goutte, lui a dit : Je n'avouerai pourtant pas que tu sois un mal  ; il a dit la plus extravagante parole qui soit jamais sortie de la bouche d’un philosophe. Un empereur de l’univers, enfermé aux petites-maisons , déclare naïvement un sentiment dont il a le malheur d'être plein ; celui-ci, par engagement de système, nie un sentiment très vif, et en même temps l'avoue par l'effort qu'il fait pour le nier. N’ajoutons pas à tous les maux que la nature et la fortune peuvent nous envoyer, la ridicule et inutile vanité de nous croire invulnérables.

Il serait moins déraisonnable de se persuader que notre bonheur ne dépend point du tout de nous ; et presque tous les hommes ou le croient, ou agissent comme s'ils le croyaient. Incapables de discernement et de choix, poussés par une impétuosité aveugle, attirés par des objets qu'ils ne voient qu'au travers de mille nuages, entraînés les uns par les autres sans savoir où ils vont, ils composent une multitude confuse et tumultueuse, qui semble n'avoir d'autre dessein que de s'agiter sans cesse. Si, dans tout ce désordre, des rencontres favorables peuvent en rendre quelques-uns heureux pour quelques moments, à la bonne heure ; mais il est bien sûr qu'ils ne sauront ni prévenir ni modérer le choc de tout ce qui peut les rendre malheureux. Ils sont absolument à la merci du hasard.

Nous pouvons quelque chose à notre bonheur, mais ce n'est que par nos façons de penser ; et il faut convenir que cette condition est assez dure. La plupart ne pensent que comme il plaît à tout ce qui les environne ; ils n'ont pas un certain gouvernail qui leur puisse servir à tourner leurs pensées d'un autre côté qu’elles n'ont été poussées par le courant. Les autres ont des pensées si fortement pliées vers le mauvais côté, et