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surpris aussi, des nymphes qui chassoient dans ces forêts. Mais ce qu’il vit de plus rare dans la Lune, c’étoit un vallon, où se trouvoit tout ce qui se perdoit sur la terre de quelque espèce que ce fût, et les couronnes et les richesses et la renommée, et une infinité d’espérances, et le temps qu’on donne au jeu, et les aumônes qu’on fait faire après sa mort, et les vers qu’on présente aux princes, et les soupirs des amans.

Pour les soupirs des amans, interrompit la Marquise, je ne sais pas si du temps de l’Arioste ils étoient perdus ; mais en ce temps-ci, je n’en connois point qui aillent dans la lune. N’y eût-il que vous, Madame, repris-je, vous y en avez fait aller un assez bon nombre. Enfin la lune est si exacte à recueillir ce qui se perd ici-bas, que tout y est, mais l’Arioste ne vous dit cela qu’à l’oreille, tout y est jusqu’à la donation de Constantin. C’est que les papes ont prétendu être maîtres de Rome et de l’Italie, en vertu d’une donation que l’empereur Constantin leur en avoit faite ; et la vérité est qu’on ne sauroit dire ce qu’elle est devenue. Mais devinez de quelle sorte de chose on ne trouve point dans la lune ? de la folie. Tout ce qu’il y en a jamais eu sur la terre s’y est très bien conservé. En récompense il n’est pas croyable combien il y a dans la lune d’esprits perdus. Ce sont