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été que médiocrement habile. On admirait que le connétable de Montmorency eût été le ministre et le favori de trois rois ; mais j’ai été la maîtresse de deux, et je prétends que c’est davantage.

ANNE DE BOULEN.

Je n’ai garde de disconvenir de votre habileté, mais je crois que la mienne l’a surpassée. Vous vous êtes fait aimer long-temps, mais je me suis fait épouser. Un roi vous rend des soins : tant qu’il a le cœur touché, cela ne lui coûte rien. S’il vous fait reine, ce n’est qu’à l’extrémité, et quand il n’a plus d’espérance.

LA DUCHESSE DE VALENTINOIS.

Vous faire épouser n’était pas une grande affaire ; mais me faire toujours aimer, en était une. Il est aisé d’irriter l’amour, quand on ne le satisfait pas, et fort malaisé de ne pas l’éteindre, quand on le satisfait. Enfin, vous n’aviez qu’à refuser toujours avec la même sévérité, et il fallait que j’accordasse toujours avec de nouveaux agrémens.

ANNE DE BOULEN.

Puisque vous me pressez si fort par vos raisons, il faut que j’ajoute à ce que j’ai dit, que si je me suis fait épouser, ce n’est pas pour avoir eu beaucoup de vertu.

LA DUCHESSE DE VALENTINOIS.

Et moi, si je me suis fait aimer très constamment, ce n’est pas pour avoir eu beaucoup de fidélité.

ANNE DE BOULEN.

Je vous dirai donc encore, que je n’avais ni vertu, ni réputation de vertu.

LA DUCHESSE DE VALENTINOIS.

Je l’avais compris ainsi, car j’eusse compté la réputation pour ta vertu même.