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eu un méchant moment ; mais combien as-tu eu auparavant de journées agréables ? Qu’eusses-tu fait, si tu n’eusses jamais été que musicien ? Tu te serais bien ennuyé dans une fortune si médiocre.

DAVID RICCIO.

J’eusse cherché mon bonheur dans moi-même.

MARIE STUART.

Va, tu es un fou. Tu t’es gâté depuis ta mort par des réflexions oisives, ou par le commerce que tu as eu avec les philosophes qui sont ici. C’est bien aux hommes à avoir leur bonheur dans eux-mêmes !

DAVID RICCIO.

Il ne leur manque que d’en être persuadés. Un poète de mon pays a décrit un château enchanté, où des amans et des amantes se cherchent sans cesse avec beaucoup d’empressement et d’inquiétude, se rencontrent à chaque moment, et ne se reconnaissent jamais. Il y a un charme de la même nature sur le bonheur des hommes : il est dans leur propre pensée, mais ils n’en savent rien ; il se présente mille fois à eux, et ils le vont chercher bien loin.

MARIE STUART.

Laisse là le jargon et les chimères des philosophes. Lorsque rien ne contribue à nous rendre heureux, sommes-nous d’humeur à prendre la peine de l’être par notre raison ?

DAVID RICCIO.

Le bonheur mériterait pourtant bien qu’on prit cette peine là.

MARIE STUART.

On la prendrait inutilement : il ne saurait s’accorder avec elle : on cesse d’être heureux, sitôt que l’on sent