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JULIETTE DE GONZAGUE.

J’étais ravie qu’on me cherchât, et plus encore qu’on ne pût m’attraper. Rien ne me flattait plus que de penser que je manquais au bonheur de l’heureux Soliman, et qu’on me trouvait à dire, dans le sérail, dans un lieu si rempli de belles personnes ; mais je n’en voulais pas davantage. Le sérail n’est agréable que pour celles qui y sont souhaitées, et non pour celles qu’on y enferme.

SOLIMAN.

Je vois bien ce qui vous faisait peur ; ce grand nombre de rivales ne vous eût point accommodée. Peut-être aussi craigniez-vous que parmi tant de femmes aimables, il n’y en eût beaucoup qui ne fissent que servir d’ornement au sérail ?

JULIETTE DE GONZAGUE.

Vous me donnez là de jolis sentimens.

SOLIMAN.

Qu’est-ce que le sérail avait donc de si terrible ?

JULIETTE DE GONZAGUE.

J’y eusse été blessée au dernier point de la vanité de vous autres sultans, qui, pour faire montre de votre grandeur, y enfermez je ne sais combien de belles personnes, dont la plupart vous sont inutiles, et ne laissent pas d’être perdues pour le reste de la terre ; d’ailleurs, croyez-vous que l’on s’accommode d’un amant, dont les déclarations d’amour sont des ordres indispensables, et qui ne soupire que sur le ton d’une autorité absolue ? Non, je n’étais point propre pour le sérail : il n’était point besoin que vous me fissiez chercher ; je n’eusse jamais fait voire bonheur.