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chant, on trouve de fort beaux secrets qu’on ne cherchait pas.

ARTÉMISE.

Ne vaudrait-il pas mieux chercher ces secrets qu’on peut trouver, que de songer à ceux qu’on ne trouvera jamais ?

RAIMOND LULLE.

Toutes les sciences ont leur chimère, après laquelle elles courent, sans la pouvoir attraper ; mais elles attrapent en chemin d’autres connaissances fort utiles. Si la chimie a sa pierre philosophale, la géométrie a sa quadrature du cercle, l’astronomie ses longitudes, les mécaniques leur mouvement perpétuel ; il est impossible de trouver tout cela, mais fort utile de le chercher. Je vous parle une langue que vous n’entendez peut-être pas bien : mais vous entendrez bien du moins que la morale a aussi sa chimère ; c’est le désintéressement, la parfaite amitié. On n’y parviendra jamais, mais il est bon que l’on prétende y parvenir : du moins en le prétendant, on parvient à beaucoup d’autres vertus, ou à des actions dignes de louange et d’estime.

ARTÉMISE.

Encore une fois, je serais d’avis qu’on laissât là toutes les chimères, et qu’on ne s’attachât qu’à la recherche de ce qui est réel.

RAIMOND LULLE.

Pourrez-vous le croire ? Il faut qu’en toutes choses les hommes se proposent un point de perfection au-delà même de leur portée. Ils ne se mettraient jamais en chemin, s’ils croyaient n’arriver qu’où ils arriveront effectivement ; il faut qu’ils aient devant les yeux un