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SCARRON.

On ne fait ordinairement guère de cas de ce que vous appelez un mérite ; car si un homme a quelque vertu, et qu’on puisse démêler qu’elle ne lui soit pas naturelle, on ne la compte presque pour rien. Il semblerait pourtant que parce qu’elle est acquise à force de soins, elle en devrait être plus estimée : n’importe ; c’est un pur effet de la raison, on ne s’y fie pas.

SÉNÈQUE.

On doit encore moins se fier à l’inégalité du tempérament de vos sages : ils ne sont sages que selon qu’il plaît à leur sang. Il faudrait savoir comment les parties intérieures de leur corps sont disposées, pour savoir jusqu’où ira leur vertu. Ne vaut-il pas mieux incomparablement ne se laisser conduire qu’à la raison, et se rendre si indépendant de la nature, qu’on soit en état de n’en craindre plus de surprises ?

SCARRON.

Ce serait le meilleur, si cela était possible : mais par malheur, la nature garde toujours ses droits ; elle a ses premiers mouvemens qu’on ne lui peut jamais ôter ; ils ont souvent bien fait du chemin, avant que la raison en soit avertie ; et quand elle s’est mise enfin en devoir d’agir, elle trouve déjà bien du désordre : encore est-ce une grande question que de savoir si elle pourra le réparer. En vérité, je ne m’étonne pas si l’on voit tant de gens qui ne se fient pas tout-à-fait à la raison.

SÉNÈQUE.

Il n’appartient pourtant qu’à elle de gouverner les hommes, et de régler tout dans l’univers.

SCARRON.

Cependant elle n’est guère en état de faire valoir