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SÉNÈQUE.

Je vous plains de ce qu’on n’a pas compris que vos vers badins fussent faits pour mener les gens à des réflexions si profondes. On vous eût respecté plus qu’on n’a fait, si l’on eût su combien vous étiez grand philosophe ; mais il n’était pas facile de le deviner, par les pièces qu’on dit que vous avez données au public.

SCARRON.

Si j’avais fait de gros volumes pour prouver que la pauvreté, les maladies ne doivent donner aucune atteinte à la gaieté du sage, n’eussent-ils pas été dignes d’un stoïcien ?

SÉNÈQUE.

Cela est sans difficulté.

SCARRON.

Et j’ai fait je ne sais combien d’ouvrages, qui prouvent que malgré la pauvreté, malgré les maladies, j’avais cette gaieté : cela ne vaut-il pas mieux ? Vos traités de morale ne sont que des spéculations sur la sagesse ; mais mes vers en étaient une pratique continuelle.

SÉNÈQUE.

Je suis certain que votre prétendu sagesse n’était pas un effet de votre raison, mais de votre tempérament.

SCARRON.

Et c’est là la meilleure espèce de sagesse qui soit au monde.

SÉNÈQUE.

Bon ! ce sont de plaisans sages, que ceux qui le sont par tempérament. S’ils ne sont pas fous, doit-on leur en tenir compte ? Le bonheur d’être vertueux peut quelquefois venir de la nature ; mais le mérite de l’être ne peut jamais venir que de la raison.