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SÉNÈQUE.

N’avez-vous pas fait quantité de vers plaisans, comiques ?

SCARRON.

Oui : j’ai même été l’inventeur d’un genre de poésie qu’on appelle le burlesque. C’est tout ce qu’il y a de plus outré en fait de plaisanteries.

SÉNÈQUE.

Mais vous n’étiez donc pas un philosophe ?

SCARRON.

Pourquoi non ?

SÉNÈQUE.

Ce n’est pas l’occupation d’un stoïcien, que de faire des ouvrages de plaisanterie, et de songer à faire rire.

SCARRON.

Oh ! je vois bien que vous n’avez pas compris les perfections de la plaisanterie. Toute sagesse y est renfermée. On peut tirer du ridicule de tout ; j’en tirerais de vos ouvrages mêmes, si je voulais, et fort aisément : mais tout ne produit pas du sérieux, et je vous défie de tourner jamais mes ouvrages de manière qu’ils en produisent. Cela ne veut-il pas dire que le ridicule domine partout, et que les choses du monde ne sont pas faites pour être traitées sérieusement ? J’ai mis en vers burlesques la divine Énéide de votre Virgile, et l’on ne saurait mieux faire voir que le magnifique et le ridicule sont si voisins, qu’ils se touchent. Tout ressemble à ces ouvrages de perspective, où des figures dispersées çà et là vous forment, par exemple, un empereur, si vous le regardez d’un certain point ; changez ce point de vue, ces mêmes figures vous représentent un gueux.