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tenir bon contre la douceur et la patience de Marc-Aurèle ? Il regardait avec indifférence toutes les infidélités que je lui faisais : il ne me voulait pas faire l’honneur d’être jaloux ; il m’ôtait le plaisir de le tromper. J’en étais en si grande colère, qu’il me prenait quelquefois envie d’être femme de bien. Cependant, je me sauvai toujours de cette faiblesse ; et, après ma mort même, Marc-Aurèle ne m’a-t-il pas fait le déplaisir de me bâtir des temples, de me donner des prêtres, d’instituer en mon honneur des fêtes Faustiniennes ? Cela n’est-il pas capable de faire enrager ? M’avoir fait une apothéose magnifique ? m’avoir érigée en déesse ?

BRUTUS.

J’avoue que je ne connais plus les femmes : voila les plaintes du monde les plus bizarres.

FAUSTINE.

N’eussiez-vous pas mieux aimé être obligé de conjurer contre Sylla que contre César ? Sylla eût excité votre indignation et votre haine par son extrême cruauté. J’eusse bien mieux aimé aussi avoir à tromper un homme jaloux, ce même César, par exemple, de qui nous parlons. Il avait une vanité insupportable ; il voulait avoir l’empire de la terre tout entier, et sa femme tout entière ; et parce qu’il vit que Clodius partageait l’une avec lui, et Pompée l’autre, il ne put souffrir ni Pompée, ni Clodius. Que j’eusse été heureuse avec César !

BRUTUS.

Il n’y a qu’un moment que vous vouliez exterminer tous les maris, et à cette heure vous aimez mieux les plus méchans.