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espèce qui pourra bien périr, et à laquelle on ne fait pas grande attention, nous en avons une prodigieuse quantité, toutes pleines de feu et d’esprit, et je maintiens que si Anacréon les avait sues, il les aurait plus chantées que les siennes propres. Nous voyons par l’Art poétique et par d’autres ouvrages de la même main que la versification peut avoir aujourd’hui autant de noblesse, mais en même temps plus de justesse et d’exactitude qu’elle n’en eut jamais. Je me suis proposé d’éviter les détails, et je n’étalerai pas davantage nos richesses, mais je suis persuadé que nous sommes comme les grands seigneurs, qui ne prennent pas toujours la peine de tenir des registres exacts de leurs biens et qui en ignorent une bonne partie.

Si les grands hommes de ce siècle avaient des sentiments charitables pour la postérité, ils l’avertiraient de ne les admirer point trop, et d’aspirer toujours du -moins à les égaler. Rien n’arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits, que l’admiration excessive des anciens. Parce qu’on s’était dévoué à l’autorité d’Aristote, et qu’on ne cherchait la vérité que dans ses écrits énigmatiques, et jamais dans la nature, non seulement la philosophie n’avançait en aucune façon, mais elle était tombée dans un abîme de galimatias et d’idées inintelligibles, d’où l’on a eu toutes les peines du monde à la retirer. Aristote n’a jamais fait un vrai philosophe, mais il en a beaucoup étouffé qui le fussent devenus, s’il eût été permis. Et le mal est qu’une fantaisie de cette espèce une fois établie parmi les hommes, en voilà pour longtemps, on sera des siècles entiers à en revenir, même après qu’on en aura reconnu le ridicule. Si on s’allait entêter un jour de Descartes,