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que la nôtre; ces sortes de compensations ne sont pas si exactes.

Les mathématiques, la physique, sont des sciences dont le joug s’appesantit toujours sur les savants: à la fin il y faudrait renoncer, mais les méthodes se multiplient en même temps; le même esprit qui perfectionne les choses en y ajoutant de nouvelles vues, perfectionne aussi la manière de les apprendre en l’abrégeant, et fournit de nouveaux moyens d’embrasser la nouvelle étendue qu’il donne aux sciences. Un savant de ce siècle-ci contient dix fois un savant du siècle d’Auguste, mais il a eu dix fois plus de commodités pour devenir savant.

Je peindrais volontiers la nature avec une balance à la main, comme la justice, pour marquer qu’elle s’en sert à peser, et à égaler à peu près tout ce qu’elle distribue aux hommes, le bonheur, les talents, les avantages et les désavantages des différentes conditions, les facilités et les difficultés qui regardent les choses de l’esprit.

En vertu de ces compensations, nous pouvons espérer qu’on nous admirera avec excès dans les siècles à venir, pour nous payer du peu de cas que l’on fait aujourd'hui de nous dans le nôtre. On s’étudiera à trouver dans nos ouvrages des beautés que nous n’avons point prétendu y mettre; telle faute insoutenable et dont l’auteur conviendrait lui-même aujourd’hui, trouvera des défenseurs d’un courage invincible, et Dieu sait avec quel mépris on traitera en comparaison de nous, les beaux esprits de ces temps-là, qui pourront bien être des Américains. C’est ainsi que le même préjugé nous abaisse dans un temps, pour nous élever dans un autre,