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mieux par des exemples. Du temps d’Homère, c’était une grande merveille qu’un homme pût assujettir son discours à des mesures, à des syllabes longues et brèves, et faire en même temps quelque chose de raisonnable. On donnait donc aux poètes des licences infinies, et on se tenait encore trop heureux d’avoir des vers. Homère pouvait parler dans un seul vers cinq langues différentes, prendre le dialecte dorique où l’ionique ne l’accommodait pas, au défaut de tous les deux prendre l’attique, l’éolique, ou le commun, c’est-à-dire, parler en même temps picard, gascon, normand, breton et français commun. Il pouvait allonger un mot, s’il était trop court, l’accourcir s’il était trop long, personne n’y trouvait à redire. Cette étrange confusion de langues, cet assemblage bizarre de mots tout défigurés, était la langue des dieux, du moins il est bien sûr que ce n’était pas celle des hommes. On vint peu à peu à reconnaître le ridicule de ces licences qu’on accordait aux poètes. Elles leur furent donc retranchées les unes après les autres, et à l’heure qu’il est, les poètes dépouillés de leurs anciens privilèges sont réduits à parler d’une manière naturelle. Il semblerait que le métier serait fort empire, et la difficulté de faire des vers bien plus grande. Non, car nous avons l’esprit enrichi d’une infinité d’idées poétiques qui nous sont fournies par les anciens que nous avons devant les yeux; nous sommes guidés par un grand nombre de règles et de réflexions qui ont été faites sur cet art; et comme tous ces secours manquaient à Homère, il en a été récompensé avec justice par toutes les licences qu’on lui laissait prendre. Je crois pourtant, à dire le vrai, que sa condition était un peu meilleure