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Qui voudrait débiter des choses spécieuses et brillantes, on soutiendrait à la gloire des modernes que l’esprit n’a pas besoin d’un grand effort pour les premières découvertes, et que la nature semble nous y porter elle-même, mais qu’il faut plus d’effort pour y ajouter quelque chose, et un plus grand effort, plus on y a déjà ajouté, parce qu’on trouve la matière plus épuisée, et que ce qui reste à y découvrir est moins exposé aux yeux. Peut-être que les admirateurs des anciens ne négligeraient pas un raisonnement aussi bon que celui-là, s’il favorisait leur parti; mais j’avoue de bonne foi qu’il n’est pas assez solide.

Il est vrai que pour ajouter aux premières découvertes, il faut souvent plus d’effort d’esprit, qu’il n’en a fallu pour les faire; mais aussi on se trouve beaucoup plus de facilité pour cet effort. On a déjà l’esprit éclairé par ces mêmes découvertes que l’on a devant les yeux, nous avons des vues empruntées d’autrui qui s’ajoutent à celles que nous avons de notre fonds, et si nous surpassons le premier inventeur, c’est lui qui nous a aidé lui-même à le surpasser; ainsi il a toujours sa part à la gloire de notre ouvrage, et s’il retirait ce qui lui appartient, il ne nous resterait rien de plus qu’à lui.

Je pousse si loin l’équité dont je suis sur cet article, que je tiens même compte aux anciens d’une infinité de vues fausses qu’ils ont eues, de mauvais raisonnements qu’ils ont faits, de sottises qu’ils ont dites. Telle est notre condition qu’il ne nous est point permis d’arriver tout d’un coup à rien de raisonnable sur quelque matière que ce soit, il faut avant cela que nous nous égarions longtemps et que nous passions par diverses sortes d’erreurs, et par divers degrés d’impertinences.