Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre de Troie par votre beauté, et moi celle d’Auguste et d’Antoine par ma laideur.

HÉLÈNE.

En récompense, vous avez un autre avantage sur moi ; c’est que votre guerre est beaucoup plus plaisante que la mienne. Mon mari se venge de l’affront qu’on lui a fait en m’aimant, ce qui est assez naturel ; et le vôtre vous venge de l’affront qu’on vous a fait en ne vous aimant pas ; ce qui n’est pas trop ordinaire aux maris.

FULVIE.

Oui ; mais Antoine ne savait pas qu’il faisait la guerre pour moi, et Ménélas savait bien que c’était pour vous qu’il la faisait. C’est là un point qu’on ne saurait lui pardonner ; car au lieu que Ménélas, suivi de toute la Grèce, assiégeai Troie pendant dix ans, pour vous retirer d’entre les bras de Pâris, n’est-il pas vrai que si Pâris eût voulu absolument vous rendre, Ménélas eût dû soutenir dans Sparte un siège de dix ans pour ne pas vous recevoir ? De bonne foi, je trouve qu’ils avaient tous perdu l’esprit, tant Grecs que Troyens. Les uns étaient fous de vous redemander, et les autres l’étaient encore plus de vous retenir. D’où vient que tant d’honnêtes gens se sacrifiaient aux plaisirs d’un jeune homme, qui ne savait ce qu’il faisait ? Je ne pouvais m’empêcher de rire, en lisant cet endroit d’Homère, où, après neuf ans de guerre, et un combat dans lequel on vient tout fraîchement de perdre beaucoup de monde, il s’assemble un conseil devant le palais de Priam. Là, Anténor est d’avis que l’on vous rende, et il n’y avait pas, ce me semble, à balancer : on devait seulement se repentir de s’être avisé un peu tard de cet expédient. Cependant Pâris témoigne que la proposition lui déplaît ; et Priam,