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ce ne serait pas une si grande merveille. Cependant il est sûr que la pucelle anima beaucoup les soldats : mais moi, j’avais auparavant animé le roi. Elle fut d’un grand secours à ce prince, quelle trouva ayant les armes à la main contre les Anglais ; mais sans moi elle ne l’eût pas trouvé en cet état. Enfin vous ne douterez plus de la part que j’ai dans cette grande affaire, quand vous saurez le témoignage qu’un des successeurs[1] de Charles VII a rendu en ma faveur dans ce quatrain :

Gentille Agnès, plus d’honneur en mérite,
La cause étant de France recouvrer,
Que ce que peut dedans un cloître ouvrer,
Close nonain, ou bien dévot ermite.

Qu’en dites-vous, Roxelane ? Vous m’avouerez que si j’eusse été une sultane comme vous, et que je n’eusse pas eu le droit de faire à Charles VII la menace que je lui fis, il était perdu.

ROXELANE.

J’admire la vanité que vous tirez de cette petite action. Vous n’aviez nulle peine à acquérir beaucoup de pouvoir sur l’esprit d’un amant, vous qui étiez libre et maîtresse de vous-même ; mais moi, toute esclave que j’étais, je ne laissai pas de m’asservir le sultan. Vous avez fait Charles VII roi presque malgré lui ; et moi, de Soliman j’en fis mon époux, malgré qu’il en eût.

AGNÈS SOREL.


Hé quoi ! on dit que les sultans n’épousent jamais ?

ROXELANE.

J’en conviens ; cependant je me mis en tête d’épouser

  1. François Ier