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DIALOGUE V.

AGNÈS SOREL, ROXELANE.


AGNÈS SOREL.

À vous dire le vrai, je ne comprends point votre galanterie turque. Les belles du sérail ont un amant qui n’a qu’à dire : je le veux ; elles ne goûtent jamais le plaisir de là résistance, et elles ne lui fournissent jamais le plaisir de la victoire ; c’est-à-dire que tous les agrémens de l’amour sont perdus pour les sultans et pour les sultanes.

ROXELANE.

Que voulez-vous ? Les empereurs turcs, qui sont extrêmement jaloux de leur autorité, ont négligé, par des raisons de politique, ces douceurs de l’amour si raffinées. Ils ont craint que les belles qui ne dépendraient pas absolument d’eux, n’usurpassent trop de pouvoir sur leur esprit, et ne se mêlassent trop des affaires.

AGNÈS SOREL.

Hé bien, que savent-ils si ce serait un malheur ? L’amour est quelquefois bon à bien des choses ; et moi qui vous parle, si je n’avais été maîtresse d’un roi de France, et si je n’avais eu beaucoup d’empire sur lui, je ne sais où en serait la France à l’heure qu’il est. Avez-vous ouï dire combien nos affaires étaient désespérées sous Charles VII, et en quel état se trouvait réduit tout le royaume, dont les Anglais étaient presque entièrement les maîtres.

ROXELANE.

Oui ; comme cette histoire a fait grand bruit, je sais