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siècle, puisqu’on les estimait assez pour les empoisonner de cette manière-là. Je suis fâché que vous ne soyez pas né dans le siècle où j’ai vécu ; vous eussiez pu faire des vers pour toutes sortes de belles, sans aucune crainte de poison.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Je le sais. Je ne vois aucun de tous ces beaux esprits qui viennent ici se plaindre d’avoir eu ma destinée. Mais vous, de quelle manière devîntes-vous fou ?

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

D’une manière fort raisonnable. Un roi l’est devenu pour avoir vu un spectre dans une forêt ; ce n’était pas grand’chose : mais ce que je vis était beaucoup plus terrible.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Eh ! que vîtes-vous ?

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

L’appareil de mes noces. J’épousais Marie-Éléonore de Clèves, et je fis, pendant cette grande fête, des réflexions sur le mariage, si judicieuses, que j’en perdis le jugement.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Aviez-vous dans votre maladie quelques bons intervalles ?

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

Oui.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Tant pis : et moi je fus encore plus malheureux ; l’esprit me revint tout-à-fait.

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

Je n’eusse jamais cru que ce fût là un malheur !