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cession, elle est assez, difficile à recueillir, pour être fort honorable.

CHARLES V.

Hé bien, mettez la peine qui se trouve a acquérir les biens de l’esprit, contre celle qui se trouve à conserver les biens de la fortune, voilà les choses égales ; car enfin, si vous ne regardez que la difficulté, souvent les affaires du monde en ont bien autant que les spéculations du cabinet.

ÉRASME.

Mais ne parlons point de la science, tenons-nous-en à l’esprit ; ce bien là ne dépend aucunement du hasard.

CHARLES V.

Il n’en dépend point ? Quoi ! l’esprit ne consiste-il pas dans une certaine conformation du cerveau, et le hasard est-il moindre, de naître avec un cerveau bien disposé, que de naître d’un père qui soit roi ? Vous étiez un grand génie : mais demandez à tous les philosophes à quoi il tenait que vous ne fussiez stupide et hébêté ; presque à rien, à une petite position de fibres ; enfin, à quelque chose que l’anatomie la plus délicate ne saurait jamais apercevoir. Et après cela, ces messieurs les beaux-esprits nous oseront soutenir qu’il n'y a qu’eux qui aient des biens indépendans du hasard, et ils se croiront en droit de mépriser tous les autres hommes ?

ÉRASME.

À votre compte, être riche ou avoir de l’esprit, c’est le même mérite.