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suivies, mais prévenues, une infinité de fortunes qui dépendent d’un mot qu’on peut prononcer quand on veut, tant de soins, tant de desseins, tant d’empressemens, tant d’application à plaire, dont on est le seul objet : en vérité, on se console de ne pas savoir tout-à-fait au juste si on est aimé pour son rang ou pour sa personne. Les plaisirs de l’ambition sont faits, dites-vous, pour trop peu de gens ; ce que vous leur reprochez est leur plus grand charme. En fait de bonheur, c’est l’exception qui flatte, et ceux qui règnent sont exceptés si avantageusement de la condition des autres hommes, que, quand ils perdraient quelque chose des plaisirs qui sont communs à tout le monde, ils seraient récompensés du reste.

MARIE D’ANGLETERRE.

Ah ! jugez de la perte qu’ils font, par la sensibilité avec laquelle ils reçoivent ces plaisirs simples et communs, lorsqu’il s’en présente quelqu’un à eux. Apprenez ce que me conta ici, l’autre jour, une princesse de mon sang, qui a régné en Angleterre, et fort longtemps, et fort heureusement, et sans mari. Elle donnait une première audience à des ambassadeurs hollandais, qui avaient à leur suite un jeune homme bien fait. Dès qu’il vit la reine, il se tourna vers ceux qui étaient auprès de lui, et leur dit quelque chose assez bas, mais d’un certain air qui fit qu’elle devina à peu près ce qu’il disait ; car les femmes ont un instinct admirable. Les trois ou quatre mots que dit ce jeune Hollandais, qu’elle n’avait pas entendus, lui tinrent plus à l’esprit que toute la harangue des ambassadeurs ; et aussitôt qu’ils furent sortis, elle voulut s’assurer de ce qu’elle avait pensé. Elle demanda à ceux à qui avait parlé ce jeune homme, ce