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restera peut-être pas un cheveu dans le ciel. Du moins, ce qui ne peut manquer à nos noms, c’est une mort, pour ainsi dire, grammaticale ; quelques changemens de lettres les mettent en état de ne pouvoir plus servir qu’à donner de l’embarras aux savans. Il y a quelque temps que je vis ici-bas des morts qui contestaient avec beaucoup de chaleur l’un contre l’autre. Je m’approchai ; je demandai qui ils étaient, et on me répondit que l’un était le grand Constantin, et l’autre un empereur barbare. Ils disputaient sur la préférence de leurs grandeurs passées. Constantin disait qu’il avait été empereur de Constantinople ; et le barbare qu’il l’avait été de Stamboul. Le premier, pour faire valoir sa Constantinople, disait qu’elle était située sur trois mers ; sur le Pont-Euxin, sur le Bosphore de Thrace, et sur la Propontide. L’autre répliquait que Stamboul commandait aussi à trois mers, à la mer Noire, au Détroit, et à la mer de Marmara. Ce rapport de Constantinople et de Stamboul étonna Constantin : mais après qu’il se fut informé exactement de la situation de Stamboul, il fut encore bien plus surpris de trouver que c’était Constantinople, qu’il n’avait pu reconnaître à cause du changement des noms. « Hélas ! s’écria-t-il, j’eusse aussi bien fait de laisser à Constantinople son premier nom de Byzance. Qui démêlera le nom de Constantin dans Stamboul ? Il y tire bien à sa fin. »

COSME DE MÉDICIS.

De bonne foi, vous me consolez un peu, et je me résous à prendre patience. Après tout, puisque nous n’avons pu nous dispenser de mourir, il est assez raisonnable que nos noms meurent aussi ; ils ne sont pas de meilleure condition que nous.