Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand’chose ; cependant un trait comme celui là brille extrêmement dans l’histoire, et il n’y a personne qui n’en soit frappé. Qu’un autre meure tout doucement, et se trouve en état de faire des tours badins sur sa mort, c’est plus que ce qu’a fait Caton ; mais cela n’a rien qui frappe, et l’histoire n’en tient presque pas compte.

MARGUERITE D’AUTRICHE..

Hélas ! rien n’est plus vrai que ce que vous dites ; et moi, qui vous parle, j’ai une mort que je prétends plus belle que la vôtre, et qui a fait encore moins de bruit. Ce n’est pourtant pas une mort tout entière ; mais telle qu’elle est, elle est au-dessus de la vôtre, qui est au-dessus de celle de Caton.

ADRIEN.

Comment ! que voulez-vous dire ?

MARGUERITE D’AUTRICHE..

J’étais fille d’un empereur : je fus fiancée a un fils de roi, et ce prince, après la mort de son père, me renvoya chez le mien, malgré la promesse solennelle qu’il avait faite de m’épouser. Ensuite on me fiança encore au fils d’un autre roi ; et comme j’allais par mer trouver cet époux, mon vaisseau fut battu d’une furieuse tempête qui mit ma vie en un danger très évident. Ce fut alors que je me composai moi-même cette épitaphe :

Ci gist Margot, la gentil’damoiselle,
Qu’a deux maris, et encore est pucelle.

À la vérité, je n’en mourus pas, mais il ne tint pas à moi. Concevez bien cette espèce de mort-là, vous en serez satisfait. La fermeté de Caton est outrée dans un genre, la vôtre dans un autre, la mienne est natu-