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tomber entre les mains d’un vainqueur, qui cependant lui aurait infailliblement pardonné ?

ADRIEN.

Oh ! si vous examiniez de près cette mort-là, vous y trouveriez bien des choses à redire. Premièrement, il y avait si long-temps qu’il s’y préparait, et il s’y était préparé avec des efforts si visibles, que personne dans Utique ne doutait que Caton ne se dût tuer. Secondement, avant que de se donner le coup, il eut besoin de lire plusieurs fois le dialogue où Platon traite de l’immortalité de l’âme. Troisièmement, le dessein qu’il avait pris le rendait de si mauvaise humeur, que s’étant couché et ne trouvant point son épée sous le chevet de son lit (car comme on devinait bien ce qu’il avait envie de faire, on l’avait ôtée de là), il appela pour la demander un de ses esclaves, et lui déchargea sur le visage un grand coup de poing, dont il lui cassa les dents ; ce qui est si vrai, qu’il retira sa main tout ensanglantée.

MARGUERITE D’AUTRICHE.

J’avoue que voilà un coup de poing qui gâte bien cette mort philosophique.

ADRIEN.

Vous ne sauriez croire quel bruit il fit sur cette épée ôtée , et combien il reprocha à son fils et à ses domestiques, qu’ils le voulaient livrer à César, pieds et poings liés. Enfin, ils les gronda tous de telle sorte, qu’il fallut qu’ils sortissent de la chambre, et le laissassent se tuer.

MARGUERITE D’AUTRICHE.

Véritablement les choses pouvaient se passer d’une manière un peu plus tranquille. Il n’avait qu’à attendre doucement le lendemain pour se donner la mort : il n’y a rien de plus aisé que de mourir quand on le veut ;