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adroitement ceux à qui vous aviez affaire, dans des argumens dont ils ne prévoyaient pas la conclusion, que vous les ameniez où il vous plaisait ; et c’est ce que vous appeliez être la sage-femme de leurs pensées, et les faire accoucher. J’avoue que me voilà accouché d’une proposition toute contraire à celle que j’avançais : cependant, je ne saurais encore me rendre. Il est sûr qu’il ne se trouve plus de ces âmes vigoureuses et roides de l’antiquité, des Aristide, des Phocion, des Périclès, ni enfin des Socrate.

SOCRATE.

À quoi tient-il ? Est-ce que la nature s’est épuisée, et qu’elle n’a plus la force de produire ces grandes âmes ? Et pourquoi se serait-elle encore épuisée en rien, hormis en hommes raisonnables ? Aucun de ses ouvrages n’a encore dégénéré ; pourquoi n’y aurait-il que les hommes qui dégénérassent ?

MONTAIGNE.

C’est un point de fait ; ils dégénèrent. Il semble que la nature nous ait autrefois montré quelques échantillons de grands hommes, pour nous persuader qu’elle en aurait su faire, si elle avait voulu, et qu’ensuite elle ait fait tout le reste avec assez de négligence.

SOCRATE.

Prenez garde à une chose. L’antiquité est un objet d’une espèce particulière ; l’éloignement le grossit. Si vous eussiez connu Aristide, Phocion, Périclès et moi, puisque vous voulez me mettre de ce nombre, vous eussiez trouvé dans votre siècle des gens qui nous ressemblaient. Ce qui fait d’ordinaire qu’on est si prévenu pour l’antiquité, c’est qu’on a du chagrin contre son siècle, et l’antiquité en profite. On met les anciens bien