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dans tous les progrès qu’ils font auprès de nous, et nous, nous serions bien fâchées que notre résistance eût trop de succès.

LAURE

Mais enfin, quoiqu’après tous leurs soins, ils soient victorieux à bon titre, vous leur faites grâce en reconnaissant qu’ils le sont. Vous ne pouvez plus vous défendre, et ils ne laissent pas de vous tenir compte de ce que vous ne vous défendez plus.

SAPHO

Ah ! cela n’empêche pas que ce qui est une victoire pour eux, ne soit toujours une espèce de défaite pour nous. Ils ne goûtent dans le plaisir d’être aimés, que celui de triompher de la personne qui les aime ; et les amans heureux ne sont heureux, que parce qu’ils sont conquérans.

LAURE

Quoi ! auriez-vous voulu qu’on eût établi que les femmes attaqueraient les hommes ?

SAPHO

Eh ! quel besoin y a-t-il que les uns attaquent, et que les autres se défendent ? Qu’on s’aime de part et d’autre autant que le cœur en dira.

LAURE

Oh ! les choses iraient trop vite, et l’amour est un commerce si agréable, qu’on a bien fait de lui donner le plus de durée que l’on a pu. Que serait-ce, si l’on était reçu dès que l’on s’offrirait ? Que deviendraient tous ces soins qu’on prend pour plaire, toutes ces inquiétudes que l’on sent, quand on se reproche de n’avoir pas assez plu, tous ces empressemens avec lesquels on cherche un moment heureux, enfin tout cet agréa-