Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LAURE.

Je n’en suis pas surprise, car je sais que les femmes ont d’ordinaire plus de penchant à la tendresse que les hommes. Ce qui me surprend, c’est que vous ayez marqué à ceux que vous aimiez, tout ce que vous sentiez pour eux, et que vous ayez en quelque manière attaqué leur cœur par vos poésies. Le personnage d’une femme n’est que de se défendre.

SAPHO.

Entre nous, j’en étais un peu fâchée ; c’est une injustice que les hommes nous ont faite. Il ont pris le parti d’attaquer, qui est bien plus aisé que celui de se défendre.

LAURE.

Ne nous plaignons point ; notre parti a ses avantages. Nous qui nous défendons, nous nous rendons quand il nous plaît ; mais eux qui nous attaquent, ils ne sont pas toujours vainqueurs, quand ils le voudraient bien.

SAPHO.

Vous ne dites pas que les hommes nous attaquent, ils suivent le penchant qu’ils ont à nous attaquer ; mais quand nous nous défendons, nous n’avons pas trop de penchant à nous défendre.

LAURE.

Ne comptez-vous pour rien le plaisir de voir, par tant de douces attaques, si long-temps continuées, et redoublées si souvent, combien ils estiment la conquête de votre cœur ?

SAPHO.

Et ne comptez-vous pour rien la peine de résister à ces douces attaques ? Ils en voient le succès avec plaisir