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deux dans des pays étrangers ; il était veuf, vous étiez veuve : voilà bien des rapports. Il est vrai que vous êtes née trois cents ans après lui ; mais Virgile a vu tant de raisons pour vous assortir ensemble, qu’il a cru que les trois cents années qui vous séparaient n’étaient pas une affaire.

DIDON.

Quel raisonnement est-ce là ? Quoi ! trois cents ans ne sont pas toujours trois cents ans, et malgré cet obstacle, deux personnes peuvent se rencontrer et s’aimer ?

STRATONICE.

Oh ! c’est sur ce point que Virgile a entendu finesse. Assurément, il était homme du monde ; il a voulu faire voir qu’en matière de commerces amoureux, il ne faut pas juger sur l’apparence, et que tous ceux qui en ont le moins, sont bien souvent les plus vrais.

DIDON.

J’avais bien affaire qu’il attaquât ma réputation, pour mettre ce beau mystère dans ses ouvrages.

STRATONICE.

Mais quoi ! vous a-t-il tournée en ridicule ? vous a-t-il fait dire des choses impertinentes ?

DIDON.

Rien moins. Il m’a récité ici son poème, et tout le morceau où il me fait paraître est assurément divin, à la médisance près. J’y suis belle ; j’y dis de très belles choses sur ma passion prétendue ; et si Virgile était obligé à me reconnaître dans l’Enéïde pour femme de bien, l’Enéïde y perdrait beaucoup.

STRATONICE.

De quoi vous plaignez-vous donc ? On vous donne