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se mirent à pleurer, en disant que dans les pays et dans les siècles où elles venaient de vivre, les belles ne faisaient plus d’assez grandes fortunes pour élever des pyramides.

PHRINÉ.

Mais moi, j’avais cet avantage par-dessus Rhodope, qu’en rétablissant les murailles de Thèbes, je me mettais en parallèle avec vous, qui aviez été le plus grand conquérant du monde, et que je faisais voir que ma beauté avait pu réparer les ravages que votre valeur avait faits.

ALEXANDRE.

Voilà deux choses, qui assurément n’étaient jamais entrées en comparaison l’une avec l’autre. Vous vous savez donc bon gré d’avoir eu bien des galanteries ?

PHRINÉ.

Et vous, vous êtes fort satisfait d’avoir désolé la meilleure partie de l’univers ? Que ne s’est-il trouvé une Phriné dans chaque ville que vous avez ruinée ! il ne serait resté aucune marque de vos fureurs.

ALEXANDRE.

Si j’avais à revivre, je voudrais être encore un illustre conquérant.

PHRINÉ.

Et moi, une aimable conquérante. La beauté a un droit naturel de commander aux hommes, et la valeur n’a qu’un droit acquis par la force. Les belles sont de tout pays, et les rois mêmes ni les conquérans n’en sont pas. Mais pour vous convaincre encore mieux, votre père Philippe était bien vaillant, vous l’étiez beaucoup aussi ; cependant vous ne pûtes, ni l’un ni l’autre, inspirer aucune crainte à l’orateur Démosthène, qui ne fit, pendant toute sa vie, que haranguer contre vous deux :