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apparences du monde que, comme on n’écrivait alors que pour donner des préceptes, on voulut les mettre dans un discours mesuré, afin de les faire retenir plus aisément. Aussi les lois et la morale étaient-elles en vers. Sur ce pied-là, l’origine de la poésie est bien plus sérieuse que l’on ne croit d’ordinaire, et les Muses sont bien sorties de leur première gravité. Qui croirait que naturellement le Code pût être en vers et les contes de La Fontaine en prose ? Il fallait donc bien, dit Plutarque, que les oracles fussent autrefois en vers, puisqu’on y mettait toutes les choses importantes. Apollon voulut bien en cela s’accommoder à la mode. Quand la prose commença d’y être, Apollon parla en prose.

Je crois bien que, dans les commencements, on rendait les oracles en vers, et afin qu’ils fussent plus aisés à retenir, et pour suivre l’usage qui avait condamné la prose à ne servir qu’aux discours ordinaires. Mais les vers furent chassés de l’histoire et de la philosophie, qu’ils embarrassaient sans nécessité, à peu près sous le règne de Cyrus. Thalès, qui vivait en ce temps-là, fut des derniers philosophes poètes, et Apollon ne cessa de parler en vers que peu de temps avant Pyrrhus, comme nous l’apprenons de Cicéron, c’est-à-dire quelque deux cent trente ans après Cyrus. Il paraît par là qu’on retint les vers à Delphes le plus longtemps qu’on put, parce qu’on avait reconnu qu’ils convenaient à la dignité des oracles ; mais qu’enfin on fut obligé de se réduire à la simple prose.

Plutarque se moque quand il dit que les oracles se rendirent en prose parce qu’on y demanda plus de clarté et qu’on se désabusa du galimatias mystérieux des vers. Soit que les dieux mêmes parlassent, soit